
Enfants Enfants roms à Bobigny, aout 2013. © Francine Bajande
Les 200 habitants du terrain de la rue des Coquetiers à Bobigny ont appris avec soulagement la décision du Tribunal de grande instance qui a rejeté la demande du maire d’évacuer en urgence le terrain.
Les habitants du campement avaient pris connaissance de la procédure d’expulsion par le biais d’une convocation notifiée par huissier une semaine avant l’audience initialement prévue le vendredi 30 mai et reportée au 23 juin pour des raisons de procédure.
L’audience du 23 juin visait à faire reconnaitre le caractère manifestement illicite du trouble causé par l’occupation du terrain des Coquetiers.
Ce faisant, la mairie souhaitait obtenir une évacuation dans les plus brefs délais, limitant de fait la possibilité, pour les familles, de trouver une solution de relogement.
Interpellé par Amnesty International début juin, le Préfet de Seine Saint Denis avait confirmé dans un courrier daté du 11 juin que « le diagnostic social qui avait déjà été effectué, sera mis à jour et les familles éventuellement repérées se verront proposer une solution en fonction des disponibilités existante en matière d’hébergement ».
Mercredi 2 juillet, le Tribunal de grande instance de Bobigny a finalement débouté le maire de sa requête et rejeté la demande d’expulsion du terrain de la rue des Coquetiers où vivent 200 Roms dont une cinquantaine d’enfants.
Amnesty International se réjouit de cette nouvelle qui va dans le sens d’une meilleure prise en compte des droits des occupants de terrains informels qui se retrouvent le plus souvent à la rue suite à des procédures d’expulsion expéditives.
En quelques jours, plus de 7000 personnes ont apporté leur soutien aux Roms de Bobigny en signant la pétition en ligne d’Amnesty International exhortant le Préfet de Seine Saint Denis à ne pas expulser les occupants du campement sans les reloger. Des militants issus de plusieurs pays l’ont également interpellé sur cette même situation par le biais de messages électroniques ou de courriers.
Chaque année, en France, des milliers de Roms sont victimes d’expulsion forcée des bidonvilles, campements informels et squats qu’ils occupent. La plupart du temps, des familles entières sont ainsi mises à la rue, souvent sans la moindre solution de relogement ou avec la promesse d’un hébergement provisoire et insuffisant
Rappelons qu’actuellement la France est dans le viseur de la Cour européenne des droits de l’homme qui a été saisie de plusieurs requêtes relatives à des expulsions forcées de Roms ou gens du voyage.
[Source : Amnesty international, 02/07/2014]
Ci-dessous l’ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Bobigny du 2 juillet 2014, qui pourra peut-être servir a d’autres…
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TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BOBIGNY
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Chambre 1/Section 5
N° du dossier : 14/01011
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ DU 02 JUILLET 2014
—————-
A l’audience publique des référés tenue le deux juillet deux mil quatorze,
Nous, Monsieur Patrick HENRIOT, Premier Vice-Président, au Tribunal de
Grande Instance de BOBIGNY, statuant en matière de référés, assisté de
Madame Maud THOBOR, greffier, lors des débats et de Madame Lina
MORIN, greffier, lors du prononcé.
Après avoir entendu les parties à notre audience du 23 juin 2014, avons mis
l’affaire en délibéré et avons rendu ce jour, par mise à disposition au greffe
du Tribunal en application des dispositions de l’article 450 du Code de
procédure civile, la décision dont la teneur suit :
ENTRE :
COMMUNE DE BOBIGNY sise 31 Avenue du Président Salvador
Allende – 93009 BOBIGNY CEDEX
représentée par Maître Yvon GOUTAL de la SELARL GOUTAL
ALIBERT & Associés, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : R116
ET :
Monsieur COVACIU CORABIAN, et
[…]
EXPOSE DU LITIGE
Par acte d’huissier du 22 mai 2014, la commune de BOBIGNY a fait
assigner Monsieur Covaciu CORABIAN devant le juge des référés de ce
Tribunal aux fins, vu l’urgence et les articles 544 du code civil et 485, 808
et 809 du code de procédure civile, de voir :
– constater qu’elle est victime d’une occupation illégitime de ses terrains par
des familles appartenant à la communauté Rom,
– constater que cette occupation irrégulière est de nature à porter atteinte à
l’ordre public,
– dire et juger que les personnes présentes devront quitter les lieux sans délai
à compter de la signification de la décision à intervenir,
– assortit cette injonction d’une astreinte de 100 euros par jour de retard,
– à défaut d’exécution spontanée, autoriser la ville de Bobigny à faire
expulser selon toute voie de droit, y compris avec le concours de la force
publique, Monsieur Covaciu CORABIAN et tous occupants de son chef
installés illégalement sur les parcelles situées rue des coquetiers et rue de la
bergère à Bobigny et toute personne établie sans droit ni titre sur les lieux,
dont l’identification s’est révélée impossible,
– autoriser la ville de Bobigny à démonter et évacuer les installations et
constructions illégalement entreposées sur place, selon toute voie de droit,
y compris avec le concours de la fore publique, afin d’obtenir la remise en
état complète du site,
– condamner solidairement les occupants sans titre à verser à la commune
de Bobigny une somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de
procédure civile,
– ordonner l’exécution provisoire,
– réserver les dépens.
A l’appui de ses prétentions, la commune de Bobigny expose :
– qu’elle est propriétaire de diverses parcelles situées rue des Coquetiers et
rue Bergère, lesquelles sont dépourvues de toute affectation à une mission
de service public ou à l’usage direct du public et constituent des réserves
foncières relevant de son domaine privé ;
– que des familles appartenant à la communauté Rom s’y sont introduites
pour établir leur campement, où vivent une centaine de personnes dont de
jeunes enfants ;
– que ces parcelles n’ont en aucun cas vocation à accueillir ce type
d’occupation, faute de comporter des équipements sanitaires, des
raccordement au réseau d’eau potable et des eaux usées et des raccordements
électriques sécurisés ou encore de collecte des ordures ménagères ;
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– que les occupants vivent non loin des voies ferrées dans de piteuses
conditions d’hygiène et au mépris des règles les plus élémentaires pour leur
propre sécurité, ainsi que cela résulte d’un procès-verbal de constat dressé
le 15 mai 2014 ;
– que ce campement improvisé est de nature à porter atteinte à la sécurité,
l’hygiène et la salubrité publiques ;
– que le procès-verbal de constat fait référence à « de nombreux câbles
électriques qui courent sur le sol et au niveau des branches d’arbres » ;
– que plusieurs incendies se sont déjà déclarés sur le site depuis plusieurs
mois, le dernier en date, survenu dans la nuit du 11 au 12 février ayant coûté
la vie à une jeune enfant de 8 ans, habitante du campement ;
– que les tensions sont de plus en plus vives avec les riverains, notamment
les fidèles fréquentant la mosquée, voisine du site ;
– que l’occupation sans droit ni titre d’une propriété appartenant à autrui
constitue un trouble manifestement illicite au sens de l’article 809 du code
de procédure civile et qu’aucune condition d’urgence n’est exigée lorsqu’il
s’agit de faire cesser un trouble manifestement illicite au droit de propriété ;
– que Monsieur le Préfet de la Seine Saint Denis a attiré l’attention de
Monsieur le maire de Bobigny « sur la nécessité de mener à leur terme les
procédures judiciaires qui s’imposent ».
A l’audience du 23 juin 2014 Monsieur CORABIAN a comparu par avocat,
de même que les intervenants volontaires ci-dessus énumérés ;
Ensemble, ils demandent tout d’abord au juge des référés de juger que le
commune de Bobigny est irrecevable à solliciter leur expulsion des parcelles
38, 40, 207 et 208, faute pour elle de démontrer sa qualité de propriétaire ;
Au fond, ils lui demandent de juger qu’il n’y a pas lieu à référé et de
débouter la commune de l’ensemble de ses demandes ;
Ils soutiennent en premier lieu que l’urgence n’est pas démontrée, faisant
valoir :
– qu’ils vivent sur le terrain en cause depuis plus de trois ans sans qu’aucune
procédure n’ait été engagée par la commune ;
– que les causes de l’incendie évoqué par la commune sont ignorées comme
l’indique la Préfecture ;
– qu’aucun élément nouveau ne justifie que leur expulsion soit devenue
soudainement urgente si ce n’est la volonté du nouveau maire de Bobigny
de tenir ses engagements électoraux de « fermeture des camps de Roms » ;
– que les juridictions judiciaires ne peuvent être instrumentalisées à des fins
politiciennes ;
Ils soutiennent par ailleurs, en substance :
– que la notion de trouble manifestement illicite s’apprécie in concreto et
que, dans ce cadre, le droit de propriété peut être mis en balance avec
d’autres droits fondamentaux, par exemple le droit de grève, dont il a été
jugé qu’il peut être légitimement invoqué par les salariés occupant sans
violence les locaux de leur entreprise ;
– que l’atteinte au droit de propriété de la commune de Bobigny doit être
examinée en tenant compte, d’une part, qu’il s’agit d’une personne morale et,
d’autre part, qu’elle ne fait état d’aucun projet quant à la destination du
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terrain en cause ;
– que cette atteinte trouve en l’espèce plusieurs justifications, en premier lieu
la nécessité de prendre en compte leur appartenance à une minorité
vulnérable et à un groupe socialement défavorisé, soulignée par plusieurs
décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, dans le cadre de
l’examen de proportionnalité « que les autorités nationales sont tenues
d’effectuer lorsqu’elles envisagent des solutions à l’occupation illégale des
lieux … » ;
– que l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré par l’article 3-1 de la
convention internationale de New York relative aux droits de l’enfant du 26
janvier 1990, de même que l’accès à l’éducation, qui constitue l’un des
objectifs assignés aux États membres de l’Union par la Recommandation du
Conseil de l’Europe du 9 décembre 2013 relative à des mesures efficaces
d’intégration des Roms, seraient compromis par une mesure d’expulsion
alors même que 90 % de leurs enfants sont scolarisés et qu’ils sont euxmêmes
impliqués dans la scolarité de ces enfants ainsi que cela résulte des
nombreuses attestations d’enseignants, de responsables associatifs et de
bénévoles versées aux débats ;
– que le droit de mener une vie familiale normale – et son corollaire, le droit
à un domicile – consacré par l’article 8 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme est d’effet direct en droit interne et que la
protection du domicile « ne se limite pas au domicile légalement occupé ou
établi » et « dépend des circonstances factuelles, notamment de l’existence
de liens suffisants et continus avec un lieu déterminé », comme l’a jugé la
Cour européenne des droits de l’homme à plusieurs reprises ;
– que le droit au logement a été consacré par l’article 25-1 de la déclaration
universelle des droits de l’homme, par l’article 11-1 du Pacte relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels du 19 décembre 1966, par l’article
31 de la charte sociale européenne – le comité européen des droits sociaux
ayant condamné la France à six reprises pour des violations de ce droit
constituées par des expulsions de campements laissant les personnes
concernées sans abri – et par l’article 34-3 de la Charte européenne des
droits fondamentaux ;
– que par une décision du 19 janvier 1995 le Conseil constitutionnel a fait
de « la possibilité pour toute personne d’obtenir un logement décent » un
objectif à valeur constitutionnelle ;
– que les baraquements qu’ils occupent, pour insatisfaisants qu’ils soient,
sont devenus leurs logements familiaux et leur procurent une certaine
stabilité ;
– que le bon entretien de ces lieux est attesté par les photographies versées
aux débats ;
– qu’ils sont sédentaires et ne peuvent bénéficier des aires de stationnement
réservées aux gens du voyage ;
– qu’ils ne disposent à ce jour d’aucune solution de relogement malgré le
suivi associatif dont ils font l’objet et l’existence d’un projet mobilisant des
fonds européens ;
– qu’aucun diagnostic n’a été établi à ce jour, contrairement aux
préconisations de la circulaire du 26 août 2012 ;
– qu’ainsi leur expulsion emporterait des conséquences manifestement
excessives de sorte qu’elle doit être écartée dans le cadre de l’examen de
proportionnalité, que le juge des référés doit effectuer, entre le droit de
propriété et les autres droits fondamentaux en cause ;
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– que l’expulsion doit d’autant moins être ordonnée que la commune de
Bobigny n’a respecté ni l’obligation résultant pour elle des dispositions de
l’article L 115-1 du Code de l’action sociale et des familles – qui font de la
lutte contre la pauvreté et les exclusions « une priorité de l’ensemble des
politiques publiques de la nation » et qui font obligation aux collectivités
territoriales de « poursuivre une politique destinée à connaître, prévenir et
supprimer toutes les situations pouvant [les] engendrer » – ni celle résultant
des dispositions de l’article L 2111-1 du Code de la santé publique qui lui
font obligation de participer à la protection et à la promotion de la santé
maternelle et infantile, ni, enfin, celle résultant de l’article L 2212-2 du code
général des collectivités territoriales qui oblige les communes à prévenir les
incendies « par des précautions convenables » ;
Subsidiairement, les défendeurs demandent au juge des référés de leur
accorder un délai d’un an pour quitter les lieux par application des
dispositions des articles L 412-3 et L 412-4 du code des procédures civiles
d’exécution, lesquelles sont applicables à tous les locaux à usage
d’habitation, quelles qu’en soient les caractéristiques ;
Ils lui demandent enfin, en tout état de cause, de constater qu’ils sont
bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, de dire qu’il serait inéquitable que le
Trésor public finance leur défense et, en conséquence, en application de la
loi du 10 juillet 1991 et de l’article 700 du code de procédure civile, de
condamner l’État à verser à leur conseil la somme de 2.000 euros en
contrepartie de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part
contributive de l’État à la mission d’aide juridictionnelle qui lui a été
confiée ;
En réplique la commune de Bobigny a fait valoir à l’audience :
– qu’elle produit les actes de propriété relatifs à la majorité des parcelles
occupées ;
– que si l’occupation des terrains dure depuis plus de trois ans cette situation
est à mettre au compte de l’impéritie de la précédente municipalité ;
– que les défendeurs sont mal venus à contester la volonté
démocratiquement exprimée par les électeurs de voir appliquer un
programme clair et responsable ;
– que l’obligation de relogement des intéressés n’incombe pas à la commune
mais à l’État.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1. Sur la justification par la commune de Bobigny de la propriété des
parcelles occupées.
Attendu que la commune de Bobigny produit, outre divers actes notariés,
une attestation établie par son maire affirmant que les parcelles visées dans
l’assignation introductive d’instance et notamment les parcelles 38, 40, 207
et 208 sont bien sa propriété ;
Qu’il n’y a pas lieu de mettre en doute cette attestation émanant d’un officier
public ;
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Que le moyen d’irrecevabilité des demandes relativement auxdites parcelles
sera en conséquence écarté ;
2. Sur la justification des demandes au regard des pouvoirs du juge des
référés.
Attendu que la commune de Bobigny vise indistinctement et
cumulativement l’urgence et les dispositions des articles 808 et 809 du code
de procédure civile, tout en motivant ses demandes au regard du seul article
809 et en soulignant au surplus que sa mise en oeuvre ne requiert pas qu’il
soit justifié de l’urgence ;
Qu’il convient néanmoins d’apprécier le mérite de ses demandes sur l’un et
l’autre des deux fondements invoqués, étant au demeurant observé que le
péril imminent qui permet au juge des référés d’ordonner des mesures de
prévention sur le fondement de l’article 809 du code de procédure civile
constitue une déclinaison particulière de l’urgence requise à l’article 808 ;
2.1. Sur l’urgence susceptible de justifier la mise en oeuvre des
dispositions de l’article 808 du code de procédure civile.
Attendu que la commune ne produit aucun document de nature à corroborer
ses simples affirmations selon lesquelles les habitants du campement
« vivent non loin des voies ferrées dans de piteuses conditions d’hygiène et
au mépris des règles les plus élémentaires pour leur propre sécurité » ni
selon lesquelles ce campement serait « de nature à porter atteinte à la
sécurité, l’hygiène et la salubrité publiques », ni enfin selon lesquelles « les
tensions sont de plus en plus vives avec les riverains, notamment les fidèles
fréquentant la mosquée, voisine du site » ;
Que l’unique document relatif aux conditions d’occupation des lieux qu’elle
verse aux débats est constitué par un procès-verbal de constat faisant luimême
exclusivement état « de nombreux câbles électriques qui courent sur
le sol et au niveau des branches d’arbres » et accompagné de photographies
rapportant des vues générales du campement, prises en bordure du terrain
et insusceptibles de rendre précisément compte des modalités concrètes de
cette occupation ;
Que ce seul document est insuffisant à caractériser un péril imminent ou
l’urgence qu’il y aurait à procéder à l’expulsion d’habitants dont il n’est pas
contesté qu’ils sont installés depuis plus de trois ans ;
Qu’aucun document n’est non plus produit quant aux incendies qui se
seraient déjà déclarés sur le site depuis plusieurs mois et notamment quant
à celui qui est survenu dans la nuit du 11 au 12 février ayant coûté la vie à
une jeune enfant ;
Que si cet événement est de notoriété publique, il incombe néanmoins à la
demanderesse, conformément aux dispositions de l’article 9 du code de
procédure civile, de prouver les faits nécessaires au succès de ses
prétentions ;
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Qu’à ce titre, il appartient à la commune d’établir, d’une part, que le
dramatique incendie qu’elle invoque trouverait sa cause dans les spécificités
des conditions d’habitation des défendeurs et, d’autre part, que l’expulsion
sollicitée serait de nature à mettre fin aux dangers d’incendie que ces
conditions d’habitation caractériseraient ;
Que rien de tel n’est établi ni même allégué, le préfet précisant dans le
courrier qu’il adressait au maire de la commune que l’incendie en cause est
d’origine indéterminée et aucune solution de relogement des habitants du
campement n’étant annoncée ;
Et attendu que si l’absence d’infrastructure sanitaire et de point d’eau sur
place caractérise l’extrême précarité dans laquelle vivent les habitants, il
n’apparaît pas non plus, faute encore de solution de relogement annoncée,
que l’expulsion sollicitée puisse répondre à cette urgence en étant, par ses
effets propres, de nature à mettre fin à cette situation, laquelle serait
seulement renouvelée à l’identique en un autre lieu ;
Que l’urgence n’apparaît finalement ni démontrée ni caractérisée quant aux
risques pour la sécurité des personnes qui résulteraient de la situation
particulière des lieux ni susceptible de cesser, s’agissant de la situation
sanitaire des habitants, par l’effet de l’expulsion sollicitée ;
Attendu que l’expulsion ne peut donc être ordonnée sur le fondement de
l’article 808 du code de procédure civile.
2 .2. Sur le trouble affectant le droit de propriété de la commune
de Bobigny.
Attendu qu’il résulte des dispositions de l’article 809 du code de procédure
civile, invoqué en second lieu par la commune de Bobigny, que si le juge
des référés « peut », même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire
les mesures de remise en état qui s’imposent pour faire cesser le trouble
apporté par les occupants d’un terrain à la jouissance du propriétaire, c’est
à la condition que ce trouble soit « manifestement illicite » ;
Que l’illicéité de ce trouble n’est manifeste que si les occupants sont non
seulement sans titre – ce qui n’est pas contesté en l’espèce – mais encore
insusceptibles d’invoquer des droits fondant leur maintien sur le terrain en
cause et de nature, à ce titre, à justifier une restriction au droit de jouir de sa
propriété de la manière la plus absolue que le propriétaire tient des
dispositions de l’article 544 du code civil ;
Que si des droits de nature à justifier de telles restrictions au trouble,
indéniable, que subit le propriétaire sont utilement invoqués par les
occupants, l’illicéité de ce trouble perd son caractère manifeste et devient au
contraire sujette à appréciation de sorte que le juge des référés perd luimême
le pouvoir d’y mettre fin, seul le juge du fond disposant du pouvoir
d’arbitrer entre des parties invoquant des droits concurrents ;
Attendu que des droits sont concurrents s’ils sont consacrés par des textes
de niveau équivalent dans la hiérarchie des normes et de portée équivalente
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quant à leur invocabilité et à leurs effets ;
Attendu qu’il y a lieu, dès lors, de rechercher si les défendeurs sont fondés
à invoquer des droits concurrents du droit de propriété invoqué par la
commune de Bobigny, susceptibles de justifier leur maintien sur le terrain
litigieux et de remettre en cause, à ce titre, le caractère manifeste de
l’illicéité de l’occupation ;
Attendu que l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie
privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » ;
Attendu qu ‘il résulte de ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour
européenne des droits de l’homme, que le domicile relevant de la protection
instituée par ledit article 8 ne se limite pas au domicile légalement occupé
ou établi et que le droit d’en revendiquer l’existence et la protection dépend
des circonstances factuelles, notamment de l’existence de liens suffisants et
continus avec un lieu déterminé ;
Attendu en l’espèce que la commune de Bobigny ne conteste pas que
l’occupation du terrain par les défendeurs est continue et dure depuis plus
de trois ans ;
Que l’attestation de Madame DARDARE, versée aux débats, confirme que
cette occupation dure « depuis trois ans environ » et que, au cours de ces
trois années, le « collectif de soutien aux Roms Roumains et Bulgares de
Bobigny » a accompagné de nombreuses familles dans leurs démarches
sociales (vaccinations, inscriptions scolaires …) et engagé de multiples
contacts avec la municipalité pour mettre en place des « services » pérennes
tels qu’un ramassage des déchets individuels plus organisé, d’abord avec les
services techniques municipaux puis avec le relais de la communauté
urbaine « Est ensemble », un service de benne avec remplacement régulier,
ainsi qu’une mise à l’étude de l’installation d’un point d’eau sur ce terrain ;
que l’année 2013 s’est terminée par l’invitation à la « Fête de Noël »
organisée par la mairie où ont été invités les enfants Roms des Coquetiers ;
Que les très nombreux certificats de scolarité intéressant les enfants des
habitants du campement de même que les très nombreuses attestations
établies tant par des enseignants des établissements scolaires avoisinants que
par des responsables d’associations et bénévoles oeuvrant régulièrement aux
côtés des habitants attestent de l’existence de liens anciens, durables et
confiants entre ces habitants et le quartier qui constitue leur environnement ;
Que les photographies prises à l’intérieur de diverses habitations installées
dans le campement achèvent d’attester que les intéressés y ont bien établi
leurs domiciles, au sens des dispositions de la Convention précitée qui en
assurent le « respect » et, partant, la protection ;
Qu’à cet égard il importe peu que, comme le soutient la commune, elle ne
soit pas la débitrice du droit au logement par ailleurs invoqué par les
défendeurs au visa d’autres dispositions conventionnelles ou
constitutionnelles et dont l’opposabilité est soumise à diverses conditions ;
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Qu ‘en effet l’article 8 de la Convention ne garantit pas l’accès à un logement
à ceux qui en sont dépourvus mais garantit, en revanche, à ceux qui
disposent d’un domicile, notion distincte, le droit à sa protection ;
Que si les défendeurs sont à l’évidence privés de logement au sens
impliquant un niveau décent de confort – et susceptibles à ce titre de
solliciter les services de l’État en vue d’en obtenir un – ils justifient en
revanche avoir établi leurs domiciles sur le terrain en cause ;
Qu ‘ils sont en conséquence recevables à invoquer et opposer le droit à sa
protection, dans les conditions posées et les limites fixées par cette
disposition ;
Attendu que ledit article dispose à cet égard qu’il ne peut y avoir d’ingérence
d’une autorité publique dans l’exercice du droit au respect du domicile « que
pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une
mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la
défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection
de la santé, de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui » ;
Attendu qu’il résulte de ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour
européenne des droits de l’homme, que la protection du droit de propriété
d’autrui ne peut justifier qu’il soit porté atteinte au droit à la protection du
logement que si cette atteinte est proportionnée au but légitime que constitue
la protection de ce droit de propriété ;
Qu ‘il en résulte inversement que pour évaluer si le droit à la protection de
leur domicile est utilement invoqué par les occupants, le juge des référés,
saisi d’une demande d’expulsion, doit notamment se livrer à un examen de
proportionnalité de l’ingérence dans ce droit que constituerait la mesure
d’expulsion sollicitée par le propriétaire ;
Que s’il ne lui appartient pas, en effet, d’arbitrer au fond entre le titulaire du
droit de propriété et le titulaire du droit à la protection de son logement, il
ne peut néanmoins, sans se dérober à son office, refuser d’évaluer dans
quelle mesure la contestation opposée par les défendeurs est de nature, ou
non, à priver le trouble invoqué par le demandeur de son caractère
manifestement illicite ;
Q ue la Cour européenne des droits de l’homme considère au demeurant que
« lorsque des arguments pertinents concernant la proportionnalité de
l’ingérence [dans le droit à la protection du domicile] ont été soulevés dans
les procédures judiciaires internes, les juridictions nationales doivent les
examiner en détail et y répondre par une motivation adéquate » ;
Q u’il résulte encore des dispositions de l’article 8 de la Convention telles
qu’interprétées par la Cour européenne des droits de l’homme que dans
l’examen de proportionnalité auquel il doit se livrer, la marge d’appréciation
du juge des référés est « d’autant plus restreinte que le droit en cause est
important pour garantir à l’individu la jouissance effective des droits
fondamentaux ou d’ordre « intime » qui lui sont reconnus » et que « cela est
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notamment le cas pour les droits garantis par l’article 8, qui sont des droits
d’une importance cruciale pour l’identité de la personne,
l’autodétermination de celle-ci, son intégrité physique et morale, le maintien
de ses relations sociales ainsi que la stabilité et la sécurité de sa position
au sein de la société », étant encore ajouté que « la perte d’un logement est
une atteinte des plus graves au droit au respect du domicile » ;
Attendu que le principe de proportionnalité que le juge est tenu de mettre en
oeuvre implique encore, comme le souligne également la Cour, qu’une
attention particulière soit portée, au vu de l’ancienneté de la présence des
familles et de la communauté qu’elles avaient formée, aux conséquences de
leur expulsion et au risque qu’elles deviennent sans abri ;
Qu’il doit encore être tenu compte de l’intérêt des enfants dont l’article 3-1
de la Convention internationale de New York relative aux droits de l’enfant
du 26 janvier 1990 dispose qu’il est « supérieur » et « qu’il doit être une
considération primordiale dans toutes les décisions qui concernent les
enfants qui sont le fait [notamment] des tribunaux » ;
Qu’il doit enfin être tenu compte « de l’appartenance des requérants à un
groupe socialement défavorisé et leurs besoins particuliers » ;
Attendu en l’espèce que le trouble subi par la commune de Bobigny,
propriétaire du terrain, doit être évalué en tenant compte de ce que cette
collectivité n’invoque l’existence d’aucun projet d’intérêt public ou privé
portant sur les parcelles en cause, lesquelles sont affectées à sa réserve
foncière ;
Qu’à l’inverse, il doit être tenu compte, dans cet examen de proportionnalité,
de ce que la mesure sollicitée est susceptible d’affecter gravement et
durablement les conditions d’existence des personnes physiques qui en
seraient l’objet, dont il est souligné par la commune elle-même qu’elles
appartiennent à une communauté dont nul ne peut contester qu’elle est
« socialement défavorisée » ;
Que le trouble résultant pour les défendeurs d’une mesure d’expulsion est de
toute évidence de nature à affecter leur droit la protection de leur domicile
et à une vie privée et familiale consacré par l’article 8 de la Convention
susvisée et ce, alors même que tous les documents versés aux débats par les
défendeurs attestent de l’ancienneté et de la stabilité de leur installation ;
Que de même l’intérêt supérieur des nombreux enfants des habitants du
campement, scolarisés dans les établissements avoisinants, à poursuivre une
scolarité dans laquelle les enseignants attestent qu’ils sont impliqués avec
motivation et sérieux serait gravement compromis par une expulsion qui
aurait pour effet de les disperser et de les éloigner durablement de ces
établissements scolaires ;
Que les défendeurs font par ailleurs valoir à juste titre, sans être contredits
par les éléments versés aux débats, qu’aucune des mesures prévues par la
circulaire du 26 août 2012 « relative à l’anticipation et à l’accompagnement
des opérations d’évacuation des campements illicites » n’a été mise en
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oeuvre ;
Que s’agissant du logement des personnes visées par ces opérations
d’évacuation, il résulte de ladite circulaire que « dans les situations dans
lesquelles une évacuation d’urgence n’est pas engagée, le délai entre
l’installation des personnes, la décision de justice et l’octroi du concours
de la force publique doit être mis à profit, pour engager, dès l’installation
du campement, et chaque fois que les circonstances locales le permettent,
un travail coopératif afin de dégager pour les personnes présentes dans ces
campements des solutions alternatives » ;
Attendu qu’ il n’est ni démontré ni même allégué que l’expulsion sollicitée
pourrait s’accompagner de l’une ou l’autre des solutions de logement
alternatives dont cette circulaire encourage la mise en oeuvre ;
Q u’il sera à nouveau souligné qu’il importe peu que la commune ne soit pas
débitrice des solutions de relogement que cette circulaire préconise dès lors
que leur absence souligne seulement qu’une expulsion jetterait les habitants
du campement dans une précarité plus grande encore et caractérise ainsi
l’atteinte qui serait portée à plusieurs de leurs droits fondamentaux ;
Que les conséquences d’une telle mesure seraient socialement et
humainement d’autant plus lourdes qu’elle s’inscrirait dans le contexte d’une
multiplication des expulsions ou évacuations de ce type, qui n’ont pour
résultat que de déplacer les occupations et, en ajoutant de la précarité à la
précarité, de maintenir les personnes qui en sont l’objet dans l’état de plus
extrême dénuement ;
Attendu qu’il sera en conséquence constaté que la mesure d’expulsion
sollicitée par la commune de Bobigny serait de nature, dans les
circonstances de l’espèce, à compromettre l’exercice par les habitants du
campement de leurs droits à la protection de leur vie privée et familiale, à
la protection de leur domicile et à la protection de l’intérêt supérieur de leurs
enfants ;
Que si la mesure sollicitée tend à faire prévaloir le droit de propriété de la
demanderesse, ce résultat – de pur principe mais de peu d’effet quant à la
jouissance effective du bien eu égard à sa destination – ne pourrait donc être
acquis qu’en renonçant à la protection d’autres droits que les habitants du
campement sont recevables et légitimes à invoquer ;
Que le trouble, indéniable, invoqué par la commune de Bobigny dans
l’exercice de son droit de propriété du fait de leur maintien sur le terrain en
cause ne peut donc, dans ces circonstances, être tenu pour manifestement
illicite ;
Qu’ainsi l’expulsion sollicitée ne peut être ordonnée sur le fondement des
dispositions de l’article 809 du code de procédure civile.
Attendu que la commune succombant, il y a lieu de faire application des
dispositions de l’article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et, ce faisant,
de faire droit à la demande reconventionnelle tendant à l’entendre
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condamner à verser chacune des deux avocates assistant les défendeurs la
somme de 2.000 euros au titre des honoraires et frais non compris dans les
dépens que ces derniers auraient exposés s’ils n’avaient pas obtenu l’aide
juridictionnelle ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, par
décision rendue par mise à disposition au greffe,
Vu les dispositions des articles 808 et 809 du Code de Procédure Civile,
Disons n’y avoir lieu à référé.
Déboutons la commune de Bobigny de ses demandes fondées sur les
dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
La condamnons à payer à Maître Tamara LOWY et Maître Marie CHEIX
la somme de 2.000 euros chacune par application des dispositions de
l’article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991,
La condamnons aux dépens.
Ainsi jugé au palais de justice de Bobigny, le 2 juillet 2014
LE GREFFIER LE JUGE DES RÉFÉRÉS