Les engins de travaux publics et une société de dépannage automobile ont investi, hier matin, le petit terrain situé dans une zone boisée de la commune de Dompierre-sur-Mer (près de La Rochelle). Il s’agissait de débarrasser le site, propriété du Conseil général de Charente-Maritime, de la quinzaine de caravanes déglinguées et de quelques automobiles hors d’usage.
Là, une cinquantaine de Roumains, de la communauté rom avaient, depuis novembre dernier, élu résidence dans des conditions de vie extrêmement précaires. L’occupation du lieu était illégale mais tolérée. Les services sociaux ne se préoccupaient guère de ces personnes. À minuit, avant-hier, hommes, femmes et enfants prenaient place dans un bus affrété par l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Direction Roissy-Charles-de-Gaulle pour un aller simple à destination de Timisoara, en Roumanie.
Destin scellé par Sarkozy
Au premier jour d’une série d’expulsions de Roms vers leur pays, Éric Besson a profité de son passage à Washington pour évoquer de prochains aménagements de lois afin de lutter contre l’abus de droit au court séjour. Le ministre a déclaré avoir « des pistes » mais ne pas pouvoir en parler, évoquant « une ou deux réunions avec le président de la République et le Premier ministre ». Des rencontres prévues pour créer un certain nombre d’amendements au projet de loi sur l’immigration soumis en septembre à l’Assemblée nationale. Car si une cinquantaine de camps illégaux ont été démantelés et les Roms expulsés, au nom de la libre circulation en Europe, rien n’empêche qu’ils reviennent en France. Alors, pour éviter ces allers-retours, Éric Besson a assuré que le gouvernement allait « adapter la législation ». Concrètement, Roumains et Bulgares peuvent entrer en France et y rester trois mois sans formalité particulière. Toutefois, « les États membres peuvent restreindre la liberté de circulation pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique ». C’est d’ailleurs dans ce cadre que la France a renvoyé hier et avant-hier plus de 215 Roms en Roumanie.
Ces 53 personnes, comme d’autres, donnent corps à l’intervention du président de la République qui, fin juillet, pointait du doigt cette communauté installée en petits groupes sur le territoire national.
À Dompierre-sur-Mer, le sort des Roms était scellé, même si aucun n’était en situation irrégulière. Le scénario d’une évacuation avec « départ volontaire » et dispositif de « retour humanitaire » se profilait depuis début août.
Les Roms n’avaient aucune carte en main. Jeudi, la partie se joua donc sans incident entre 23 heures et minuit, les Roms ayant été dûment avertis du timing de l’opération. Placée sous la direction de la préfecture, y participaient une demi-douzaine de gendarmes, une trentaine de gardes mobiles et quelques sapeurs-pompiers. Pour prévenir tout risque d’accident, l’axe routier passant devant le camp avait été coupé aux deux extrémités par les services du Conseil général. Il s’agissait aussi, dans cette opération nocturne, de « dissuader les curieux et les journalistes de s’approcher ». Cela ne fut pas dit officiellement aux derniers intéressés.
« Il y a eu une concertation avec les Roms », assurait Julien Charles, le secrétaire général de la préfecture présent sur place. Refusant de parler d’« expulsions », il est dans la même ligne que le ministre de l’Immigration, Éric Besson, qui bannit le mot « rafle ». Détaillant l’aide financière (300 euros par adulte Rom et 100 euros par enfant), le secrétaire général précisait que « 58 personnes de ce camp sont concernées ; 5 sont déjà parties en voiture ». Chaque candidat « volontaire » au départ avait été, les jours précédents, préalablement identifié.
La petite communauté, qui oscillait entre résignation et excitation, s’approchait alors du bus Le Basque Bondissant, baigné dans la lumière d’un projecteur des pompiers. Souriants malgré tout, tirés à quatre épingles à la mesure de leurs pauvres moyens, ils démontraient de façon pacifique leur dignité en pareille situation. Chacun prit place, ayant préalablement mis en soute ses 20 kilos de bagages réglementaires. Le voyage de plus de sept heures se fera en compagnie de Sylvana Maurade et de son adjoint, de l’Office français de l’immigration et de l’intégration.
« Les Roms auront juste un peu de repos avant d’aller dans la salle d’embarquement » , expliquait un gendarme. Un témoin de l’opération relevait la contradiction d’une Europe où la libre circulation des hommes est relative, sans pour autant discuter la politique de l’État français. Il trouvait cependant «étonnant, voire malsain, qu’une telle évacuation se fasse de nuit ».
Quelques heures avant l’épisode du bus, dans le camp de misère, des hommes avaient exprimé leur désarroi. « On n’a pas le choix. On ne peut pas s’opposer à ce qu’ils nous fassent partir. En Roumanie, on n’a pas d’avenir. » Certains annonçaient qu’ils reviendraient en France. Un jeune lâchait : « Je préfère tenter ma chance à Londres. »
Le bus n’avait pas démarré qu’une autre phase de l’opération « retour humanitaire » s’engageait. Les gardes mobiles, après avoir quadrillé la zone boisée, investissaient le camp. Sans ménagement, ils fouillaient chaque abri, jusqu’à soulever les matelas, vérifiant qu’aucun Rom n’était resté sur le site, échappant par on ne sait quelle malignité à l’appel de son nom.
[Source : Sud-Ouest, 21 août 2010]
- <!–
- Tags
–>